Quelle petite fille n’a pas rêvée un jour de revêtir la célébrissime robe de l’impératrice d’Autriche dite Sissi, représentée sur ce tableau de Franz Xavier Winterhalter de 1865 ?
Il faut dire que cette robe aérienne, presque intouchable me fascine depuis très longtemps. Autant que cette impératrice s’est trouvée sur mon chemin à diverses occasions.
Cette Robe dite aux Etoiles est portée par l’une des femmes les plus énigmatiques de son temps : Élisabeth Amélie Eugénie de Wittelsbach, duchesse en Bavière puis, par son mariage, impératrice d’Autriche et reine de Hongrie. L’impératrice était connue et sa beauté reconnue par tous. Très indépendante de caractère et mal acceptée au sein de la cour viennoise régie par une étiquette étouffante, l’impératrice Elisabeth choisit d’utiliser sa beauté comme une arme. Beauté qu’elle cultivait jusqu’à l’outrance en s’astreignant à des régimes étonnants, une pratique sportive intensive. Elle possédait également une garde-robe très recherchée qui mettait en valeur ses atouts (notamment sa taille extrêmement mince : 54 cm pour 1m72 ) et un maintien impeccable que l’on discerne sans difficulté dans le tableau de Winterhalter.

Portrait de Sissi dans ses jeunes années/ Portrait de Sissi vers 1867/ L’impératrice à Cheval vers 1879/ Portrait de l’impératrice par Franz Xaver Winterhalter, 1864. Ce dernier tableau était accroché dans le bureau de l’empereur, face à lui
L’archiduc Louis-Victor présent alors à ce bal écrira plus tard « Elisabeth était éblouissante de beauté, rendant les gens d’ici comme fous. Je n’ai jamais encore vu quelqu’un produire un tel effet. Elle arborait une robe blanche brodée d’étoiles et portait dans ses cheveux ses célèbres étoiles de diamants, à la gorge un bouquet de camélias » à Dresde, 1864.
On doit cette magnifique création au couturier anglais: Charles Frédéric Worth.
Dans la famille Worth régissant l’une des premières maisons de haute-couture dans la capitale, trois générations ont comptées : le fondateur Charles Frédéric Worth (1825-1895), ses fils, Gaston (1853-1924) et Jean Philippe (1856-1926), et les enfants de Gaston, Jean Charles (1881-1962) et Jacques (1882-1941).
Charles Frédéric Worth, né en Angleterre dans le Lincolnshire, arrive à Paris à l’âge de vingt ans. Chez Gagelin, fameux marchand de tissus, il acquiert l’expérience de la clientèle féminine à laquelle il montre tissus et modèles tout faits, châles, manteaux et vestes, baptisés « confections », que présentent des employées, les « demoiselles de magasin ». Le jeune homme innove en créant dans les tissus de Gagelin des robes sur mesure, alors qu’à cette époque la fabrication des tissus et la création de vêtements constituent deux activités indépendantes : désormais le couturier pourra s’assurer l’exclusivité de certains tissus pour ses créations. Ces robes nouvelles portées par Marie Vernet, « demoiselle de magasin », épousée par Worth en 1851, suscitent quelques commandes privées, sans permettre toutefois l’ouverture d’un département de haute couture, car la maison Gagelin demeure attachée à ses traditions de vente de tissus au mètre.
Dans sa propre maison de couture, fondée en 1858 au 7, rue de la Paix, en association avec le Suédois Bobergh, Worth s’attire des clientes prestigieuses comme la princesse Pauline de Metternich, femme de l’ambassadeur d’Autriche. Proche amie de l’impératrice des français Eugénie de Montijo, Pauline va projeter Worth sur le devant de la scène.
Extrait des souvenirs de la Princesse : « Un anglais qui ose prétendre faire des toilettes de femme à Paris ? voilà qui est bien étrange » m’exclamais-je . J’ouvris l’album et à ma surprise je vis une toilette charmante. [ …] J’arborais le chef d’œuvre acquis pour trois cent francs (sous la condition de promouvoir l’artiste) le mercredi suivant aux Tuileries [ …] Worth eut son premier succès ! [ …] L’impératrice Eugénie vint à moi et me demanda de suite qui avait fait cette robe si merveilleusement jolie dans sa simplicité et son élégance. « Un Anglais répondis-je, une étoile qui se lève au firmament de la mode ! » L’impératrice pria l’homme de se présenter le lendemain matin à dix heures. Worth était lancé et j’étais perdue car à partir de ce moment-là, les robes à trois cent francs ne revirent plus le jour.

L’impératrice Eugénie en costume XVIIIème par F.X Winterhalter, 1857/ Portrait du prince Richard de Metternich et de la princesse Pauline de Metternich par A.A.E. Disdéri, 1867. A noter que les deux femmes portent ici des créations de Worth
Spécialisé dans les robes de bal, Worth est à l’origine du renouveau de la soierie lyonnaise et puise dans un registre très vaste de motifs de dentelle et de broderie. Il profite d’innovations techniques comme l’apparition de la dentelle mécanique ou celle des colorants industriels, qui lui permettent de proposer des coloris inédits.
L’habileté commerciale exceptionnelle de Worth le consacre comme l’un des tout premier créateur haute couture comme on l’entend aujourd’hui. Il est le premier, en effet, à comprendre qu’il est essentiel de vendre ses modèles bien au-dessus de leur prix de revient, tout en favorisant une mode ostentatoire et luxueuse qui correspond bien aux aspirations de sa clientèle. Il reçoit sa clientèle dans de vastes salons à l’allure de salles de bal, où il montre ses modèles et présente ses collections saisonnières sur de vrais mannequins.
Worth va alors créer des costumes pour toutes les têtes couronnées d’Europe. Il fera confectionner plusieurs tenues à l’intention de la souveraine d’Autriche, qu’elle porte avec éclat de par sa grande taille et son maintien. Plus particulièrement : Worth exécutera la robe que porta Elisabeth le jour de son couronnement en tant que Reine de Hongrie en 1867. Robe majestueuse alliant l’esthétique des robes d’apparats impériales, croisé au costume traditionnel hongrois
Revenons au tableau de Winterhalter. Cette robe est un vieux rêve d’enfant. Etant jeune, je me souviens avoir été fascinée par le fameux portrait de l’Impératrice Elisabeth par Winterhalter. Le trait le plus marquant est cette abondance de tissu aérien qui avec mon regard d’enfant me paraissait magique, comme irréel, inqualifiable.
Bien plus tard, par hasard je me suis lancée dans cette réalisation et j’ai cherché quel tissu pouvait refléter mes désirs d’enfant: à la fois irréel, vaporeux, aérien, élégant…N’ayant pas la possibilité de réaliser la robe en tulle de soie, j’ai opté pour un mélange de tulle de coton et tulle polyester.
Ma seule source de référence était le tableau de l’impératrice: aucune photo, une seule description d’elle pouvant m’apporter d’autres informations. Je me suis donc plongée dans de longues recherches de coupes, d’échantillonnage textile qui correspond aux tenues de l’époque du tableau : 1865. Je vous renvois à une histoire de la crinoline sur cet article:
J’ai ensuite réalisé tous les éléments, de la perruque garnie de bijoux en étoiles en passant par tous les dessous: crinoline, corset, chemise, culotte …( Non visible sur les photos, j’ai créé une nouvelle perruque encore plus fournie et proche de l’originale. La robe est composée d’une quinzaine de mètre de tulle .La jupe est garnie d’étoiles formées à partir d’un amoncellement de petits sequins tous cousus un à un patiemment au cercle à broder.
Ce projet a été très long mais très instructif car il m’a fait beaucoup progressé dans ma manière de travailler, de réfléchir un projet dans tous ses aspects .C’est avec cette réalisation que j’ai commencé à acquérir une méthode de travail que j’ai conservée par la suite. Le projet a commencé en 2009 et est toujours d’actualité, car je continue encore régulièrement à revenir dessus pour être à la fois le plus proche du costume qu’aurait porté l’impératrice et pouvoir matérialiser l’effet qu’a produit le tableau sur moi. Dès que l’occasion se présentera, j’espère pouvoir faire de nouvelles photos de la dernière version de cette robe.

L’incontournable représentation dans le cadre d’époque !
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Crédits photos : Claude Barrère et Luc Morel
Sources/ Pour en savoir plus :
> Je ne suis pas jolie, je suis pire- Souvenirs 1859-1871 de la Princesse de Metternich.
> Galeries en ligne du Metropolitan Museum of New York.
> Encyclopédie Universalis en ligne
>Wikimediacommuns
>Histoire du costume en occident, des origines à nos jours par François Boucher
> Gallica ( bnf en ligne)
Comme toujours, un article fort intéressant et un final éblouissant avec votre version très réussie de la Robe aux Etoiles.
Merci pour ce partage Marie-Laure.
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Merci infiniment Catherine ! Je vous conseille vivement la lecture des souvenirs de la princesse Metternich: en plus d’anecdotes textiles historiques, on passe un très bon moment à chaque description cocasse ;)
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Bonjour Madame,
Cette robe vous va parfaitement, on dirai Sissi ^_^ .. Votre travail est remarquable !! Pouvez-vous me dire comment faire les étoiles en sequin ? Je suis débutante en couture excusez moi ! Je vous remercie.
Cordialement.
Amélie. L
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Merci Amélie !
Comme je l’ai mentionné dans l’article, les étoiles sont un « amas » de sequin cousus ensemble au cercle à broder. C’ n’est pas une technique particulière, juste fixer un sequin après l’autre au fil.
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Beautiful!
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Thank you Antoinette !
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Tout simplement magnifique !!!!
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